« L’ocytocine, on en entend fréquemment parler comme l’hormone de l’amour, de l’empathie ou du bonheur: elle permettrait à la mère de se lier immédiatement d’affection pour son nouveau-né et se manifesterait alors qu’on échange un moment de douceur avec un proche ou – tout s’explique – juste après l’orgasme, lorsqu’on expérimente cette sensation intense de plénitude incomparable qui nous donnerait presque des ailes. »

Une nouvelle définition

Je me suis donc tournée vers l’un des pères de la philosophie, histoire de connaître la définition quasi première de l’émotion. D’après Aristote, le terme représente ainsi « tous ces sentiments qui changent l’homme en l’entraînant à modifier son jugement et qui sont accompagnés par la souffrance ou le plaisir ». Si l’on en croit le disciple de Platon, l’émotion est synonyme d’altération de la pensée. Ressentir quelque chose modifierait notre appréhension d’une situation particulière ou d’un évènement plus global. Dit comme ça, il est facile d’interpréter son effet qui serait plus négatif que positif. Et c’est d’ailleurs ce que déplore Aurélie Jeantet, sociologue, spécialiste du travail, des émotions et du genre, qui enseigne à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3: « Depuis l’Antiquité, on a l’habitude d’opposer les émotions et la domination, et cela structure notre façon de penser le monde et de nous y comporter, explique -t-elle lors de sa conférence TEDxTalk, le 26 avril dernier. On aurait d’un côté la raison qui caractériserait la science, l’efficacité, l’objectivité, qui serait l’apanage des hommes blancs. Et de l’autre côté, on aurait les émotions avec la partialité, la subjectivité, l’erreur, les femmes. Les deux ne sont pas connotés de même manière: la raison est valorisante tandis que l’émotion est plus négative, il faudrait s’en méfier. »

Pour le Dr Aîcha-Sarah Khalis, consultante experte en éducation et fondatrice du cabinet Kallitas (kallitas.com), le fait d’associer l’émotion à quelque chose de péjoratif est d’un ancien temps. « Kan disait que les émotions étaient les maladies de l’homme, mais ce n’est pas le cas », assure-t-elle, en ajoutant que la définition a changé dans les années 80. Elle cite Antonio Damasio, professeur émérite de neurologie et de neurosciences, et auteur de l’Erreur de Descartes: La raison des émotions (Éd. Odile Jacob), qui a remis le terme à jour: « Pour lui, la raison et l’émotion sont la même chose, elle passent toutes les deux par le même circuit neuronal. L’émotion arrive en premier, puis la raison apparaît quand l’émotion est refroidie. Il dit également qu’il n’existe pas de bonnes ni de mauvaises émotions, car elles nous informent sur nous-même, elles nous renseignent ». Elle contredit d’ailleurs Aristote en expliquant que l’émotion n’est pas un sentiment, mais que le sentiment naît de l’émotion: « La différence est très importante, explique telle. On vit l’émotion sur le moment, alors que le sentiment, le ressentiment, est quelque chose de dispersé dans le temps, comme le souvenir de cette émotion ».

Réfléchissons à un exemple concret. Un soir, alors qu’on fréquente quelqu’un.e depuis plusieurs semaines, on reçoit un message inattendu. Un texto écrit de ses doigts nous expliquant gentiment que, même si nous sommes une personne extraordinaire, il ou elle a décidé de ne pas continuer l’aventure, probablement parce qu’il ou elle avait piscine – ou toute autre excuse peu pertinente du genre. Niveau de frustration: Carrie Bradshaw quand elle découvre le post-it: « I’m Sorry, Ican’t. Don’t Hate Me » signé Jack Berger. Sur le moment, on a le souffle coupé, on tremble, on pleure, on insulte même notre pauvre téléphone qui, lui n’y est clairement pour rien. On exprime notre émotion, la colère, avec des sensations Physiques. « Sa mission est biologique », indique l’experte. Le lendemain en revanche, quand on racontera l’histoire à nos amies avec une véhémence certaine dans nos propos, on n’aura pas les mêmes sensations que la veille, mais une sorte d’empreinte de ce qu’on a vécu alors. On en reparle, car ça nous touche encore, mais on ne se remettra pas à hurler ni à renverser la table. On exprimera alors un sentiment, ou un ressentiment, qui pourra, au contraire de l’émotion, durer toute une vie. « Une façon de diluer sa colère et de l’étaler dans le temps », comme l’explique le Dr Christophe André, psychiatre et spécialiste de la pleine conscience en France.

La source de nos émotions

Mais alors, comment se déclenche cette émotion ? Comment en vient-on à vivre ces symptômes corporels qui traduisent la tristesse, la joie, le stress ou la peur ?  » Il n’y a d’abord les déclencheurs externes, qui sont les cinq sens », continue le Dr Aïcha-Sarah Khalis. Quelque chose que l’on voit, que l’on touche, que l’on sent ou que l’on entend va provoquer une réaction en trois étapes (charge, tension et décharge) qui agissent en une fraction de seconde dans notre cerveau. Celui-ci va « sécréter de l’ocytocine s’il agit d’une émotion bienveillante, et du cortisol s’il s’agit d’une situation malveillante, comme la peur ou la jalouse. »  Ensuite, il existe des déclencheurs internes, comme lorsqu’on se rapelle d’un moment, d’un souvenir, et que l’on provoque soi-même une émotion en pensant à un fait précis ou à une ambiance particulière. L’ocytocine, on en entend fréquemment parler comme l’hormone de l’amour, de l’empathie ou du bonheur: elle permettrait à la mère de se lier immédiatement d’affection pour son nouveau-né et se manifesterait alors qu’on échange un moment de douceur avec un proche ou – tout s’explique – juste après l’orgasme, lorsqu’on expérimente cette sensation intense de plénitude incomparable qui nous donnerait presque des ailes.  » C’est l’amie de nos neurones », déclare le Dr Khalis. Pour ce qui est du cortisol en revanche, si produire cette molécule nocive en quantité raisonnable n’est pas alarmant – on ne peut pas être au summum de notre forme tous les jours -, vivre dans un univers constant de haine, d’hypocrisie ou de frustration nuirait à notre santé, notamment en affaiblissant notre mémoire.

Le psychologique a donc des effets réels sur le physique, qu’ils soient bénéfiques ou non. Une influence de l’esprit sur le corps qui, dans certains cas, va même jusquà la démonstration de symptômes cutanés tels que l’eczéma, dont l’une des origines reste le stress. Dans l’autres, on notera un risque amoindri d’inflammation systémique qui atténuerait celui de maladies chroniques, comme l’explique une étude sur la diversité des émotions dites positives et leurs bien-faits de l’Américan Psychological Association menée par Athony Ong, docteur en psychologie et professeur en développement humain. Surtout, accumuler et stimuler ces émotions positives permettrait de créer davantage de « bienveillance, de mémorisation, de créativité, d’imagination et d’empathie », insiste le Dr Aïcha-Sarah Khalis.

Prendre le contrôle

Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler les paroles d’Antonio Damasio évoquées plus haut par l’experte en éducation: « Il n’existerait pas de bonnes ni de mauvaises émotions, car elles nous informent sur nous-même ». Que l’on vive un moment de tristesse, de déception, de culpabilité, ou au contraire de gaieté, d’enthousiasme ou d’émerveillement, on apprend de ces expériences, ce qui nous amène à mieux les appréhendez lorsqu’on les rencontre à nouveau. On évitera donc  de  s’autoflageller dès qu’on a un coup de mou, qu’on ne se sent pas bien pour X ou Y raisons ou qu’on a un chagrin plus ou moins démesuré. Au contraire, on accueillera l’émotion en se souvenant de ce qu’on a vécu, et en sachant désormais comment la manier. Le Dr Aïcha-Sarah Khalis évoque également que cet apprentissage prend racine dès l’enfance. « Avant 6 anset demi, un enfant ne sait pas gérer ses émotions, il faut l’aider, lui donner une base pour qu’il apprenne ensuite lui-même. »  Plus tard, c’est ce qui lui permettra de ne pas se laisser submerger par des déclencheurs externes ou internes. Ou qui fera qu’il est plus émotif qu’un autre. « Être émotif n’a rien de grave cependant, tant que ce n’est pas handicapant dans nos relations ni dans notre quotidien », ajoute l’experte.

Le matin, en se regardant dans le miroir, on testera ses recommandations. Au lieu de faire un bilan catastrophique de ce qui nous déplaît chez nous (discipline à laquelle on excelle), on se concentrera sur nos forces. On s’attèlera à créer cette ocytocine miraculeuse jusqu’à ce que sa présence devienne un réflexe. Et on profitera de ses bienfaits sereinement, en sachant qu’on est désormais un peu mieux préparé.e en cas de tempête. 

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